La sémillante Catherine rentre avec Po-Paï. Ils sont allés faire leur promenade matinale. L’air absolument émoustillé, Catherine me raconte qu’elle a rencontré un « monsieur charmant ». Venant d’une autre femme que Catherine, une telle entrée en matière ne peut que susciter défiance chez un conjoint. Heureusement que je suis un être foncièrement magnanime, que je suis un océan de tolérance, une montagne de mansuétude, un monstre de générosité. Méfions-nous quand même : Catherine n’est jamais qu’une femme.
Ecoutons sans broncher.
Avec de beaux gestes amples et élégants, Catherine me raconte qu’un monsieur très bien de sa personne a traversé spécialement la rue pour venir voir Po-Paï. Ce monsieur élégant était accompagné de 2 labradors anglais, me précise Catherine. Il y a des tas de touristes actuellement dans le quartier et ce gentleman faisait sans doute partie du dernier arrivage.
« Vous avez discuté en anglais ? »
C’est le genre de question idiote que je pose quand j’ai envie de brouiller les cartes. Si j’ai balancé cette ineptie, c’est parce que je me suis tout de suite imaginé que le contact se fait beaucoup mieux en utilisant une autre langue que celle du pays dans lequel on se trouve. Compliqué mais vrai : on colle mieux avec son partenaire.
« Non, non. Il s’exprimait parfaitement bien en français. »
En plus, il cause correctement le françouse, ce zouave ! Et puis quoi encore ? Il sait peut-être écrire avec humour ? Tu ne lui as pas demandé ? Il sait peindre aussi ? Il est beau, jeune, intelligent, costaud, riche sans doute ? Il a toutes les qualités ce zigue !
Ces dernières remarques, je ne les ai pas faites à Catherine. Gardons un minimum de dignité.
Catherine poursuit en me précisant que le monsieur BCBG a traversé la route mais les 2 labradors sont restés sagement assis sur le trottoir d’en face. En fait, Catherine me raconte tout cela pour bien mettre l’accent sur les facultés d’obéissance de ces 2 chiens. Par extrapolation, elle vient à souhaiter que l’on obtienne un minimum de discipline chez Po-Paï, même si c’est un chow-chow.
Elle m’explique que le don Juan de quartier est venu s’intéresser à la langue bleue de Po-Paï.
« Et la tienne de langue, il t’a demandé de la tirer ? »
Encore une question idiote. C’est plus fort que moi, il faut que cela fuse. J’ai conscience d’être imbécile mais, curieusement, c’est une réflexion que je ne me fais pas avant de parler (cela me permettrait donc de la faire en silence).
A question idiote, réponse idiote. Catherine rétorque :
« Elle est rose. Sans intérêt ! »
Et toc ! Continuons.
Je l’écoute à demi et la regarde en entier. Tu parles Charles ! qu’il s’est intéressé au chow-chow. C’est un prétexte. C’est plutôt Catherine qui l’intéressait et on comprend en la voyant. Avec sa robe noire moulante, son léger bronzage, son abondante tignasse brune et ses 1,80m de taille mannequin sorti tout droit d’un défilé de couture, j’en connais plus d’un qui aurait traversé non pas la rue pour la voir de plus près, mais un océan.
Avec son sourire enjôleur, Catherine continue à me parler naïvement de
ses labradors. Pendant ce temps-là, moi je m’en contre fiche de ses labradors
et je fixe les jambes de Catherine en m’imaginant à quoi peut penser un
propriétaire de chiens de race en admirant le galbe d’aussi belles jambes.
C’est l’été, il est Anglais, il est en vacances, et les femmes françaises
sont marvellous !
« Alors à cet instant, il a fait neuf ! et un des labradors est venu… »
Je suis abîmé dans mes réflexions, j’ai un peu décroché et n’ai entendu que la dernière phrase de l’exposé de Catherine. J’ai compris que le chevalier servant de Catherine se trouvait en pleine opération de séduction. Il a décidé de prouver à cette superbe créature (Catherine et non Po-Paï, pour une fois) à quel point il sait faire preuve d’autorité et combien très beaucoup (how very much en anglais) il a d’ascendant sur ceux qui l’aiment et qu’il aime. Il s’est adressé à ses 2 labradors toujours assis scrupuleusement de l’autre côté de la route. Il a seulement dit : « 9 ! » (« Neuf ! » Le chiffre « neuf »). Un des 2 labradors s’est alors relevé, a traversé la route et est venu se coucher aux pieds de son maître.
Le Casanova de service a bien vérifié qu’il épatait Catherine. Sur son visage, il a constaté avec une visible satisfaction qu’elle se pâmait. Il arrivait à la faire jouir déjà à distance. (Tout cela Catherine ne me l’a pas raconté mais, pour l’authenticité du récit et pour l’intégrité que je dois au lecteur, il me fallait bien restituer la scène dans ses moindres détails.)
Ensuite, le Roméo a prononcé : « 12 ! »
L’autre labrador les a rejoints.
Catherine n’est pas tout à fait remise à cette heure précise. Une telle maestria dans la domestication du chien la laisse pantoise. Je n’ai pas osé lui demander si « 9 » et « 12 » sont les noms respectifs des chiens. Ce doit être un code que le labrador a assimilé et qui correspond à un ordre précis.
Et le chiffre correspondant à son avoir en banque, te l’a-t-il fourni ?